Trolley Festival 2025 de Turin

Par José Banaudo

Comme chaque hiver, l’Associazione Torinese Tram Storici (ATTS) organise le premier dimanche de décembre à TURIN le « Trolley Festival », un des plus beaux festivals de tramways historiques d’Europe. Cette année les festivités s’étendaient sur trois jours pour fêter les 20 ans de l’association et celle-ci m’avait invité pour présenter une conférence sur la préservation des tramways en France.   

VENDREDI 5 DÉCEMBRE
J’arrive en début d’après-midi à la gare de Torino-Porta-Nuova, au terme d'un voyage en train de huit heures et demie (!) depuis Puget-Théniers, avec trois changements… Un parcours sur la ligne 15 des tramways turinois m’amène au nord-est de l’agglomération turinoise dans le quartier périphérique de SASSI, où je retrouve les amis de l’ATTS à la gare de départ du chemin de fer de la SUPERGA.    

La ligne Sassi - Superga, longue de 3160 m et à l'écartement spécifique de 1,445 m des tramways turinois, a été ouverte en 1884 pour donner accès à la colline de la Superga en rive droite du Po. Ce site privilégié est couronné par une basilique édifiée en 1731 sur les plans de l’abbé architecte sicilien Filippo Juvarra, qui abrite une partie des tombes de la famille royale de Savoie. Si l’on ajoute le panorama imprenable qu'elle offre sur la ville de Turin et la chaîne des Alpes, Superga est un lieu de promenade très apprécié des Turinois.

La voie ferrée gravit un dénivelé de 420 m par des rampes maximales de 210 mm/m. Elle a dans un premier temps été exploitée au moyen d’un système funiculaire breveté par l’ingénieur Tommaso Agudio, qui l’avait expérimenté au préalable sur un plan incliné à Lanslebourg en Savoie. A l’issue de la concession, au bout d’un demi-siècle de fonctionnement avec ce système à câbles, la ligne de la Superga a été reprise par la commune de Turin et transformée en 1935 en chemin de fer à crémaillère système Strub, électrifié en 600 volts continu par troisième rail latéral. Aujourd’hui intégrée au réseau du Gruppo Torinese Trasporti (GTT), elle présente la particularité d’être toujours exploitée avec les véhicules et le mode de traction de cette époque et elle fait donc partie, à ce titre, du patrimoine technique et industriel turinois.

SAMEDI 6 DÉCEMBRE
Aujourd’hui pas beaucoup de photos car l’essentiel se passe dans un hôtel de la Piazza Carlo-Emanuele, que les Turinois appellent la « Piazza Carlina ». Dix-huit conférences sur la préservation des tramways dans le monde sont au programme par des présentateurs de quatre continents : Allemagne, Australie, Belgique, Brésil, Canada, Etats Unis, France, Italie, Japon, Nouvelle Zélande, République Tchèque, Pays Bas, Pologne, Portugal, Royaume Uni, Suède et Suisse.

DIMANCHE 7 DÉCEMBRE 

Avant de retrouver les tramways pour la grande journée du « Trolley Festival », nous faisons un détour matinal par la gare de TORINO PORTA NUOVA. La consultation du site de la Fondazione FS nous a permis de repérer le départ d'un train historique pour Nizza-Monferrato à 8 heures 55...  

Juste avant d’admirer les vedettes du « Trolley Festival », un petit mot sur le réseau des tramways de Turin qui comporte aujourd’hui huit lignes urbaines totalisant 65 km, soit 188 km de voies à l’écartement de 1,445 m électrifiées en 600 volts continu. Quatre séries de rames sont en service, réparties dans quatre dépôts.

Nombre de photo(s): 37
  • Nous voici donc à la station de SASSI où un agréable petit musée des transports est aménagé dans une salle contiguë au buffet et à la billetterie. La remorque hippomobile 197, construite en 1880 par Miani & Silvestri rappelle l’époque des premiers tramways turinois.
  • Le parc moteur actuel de la ligne de la Superga compte trois automotrices construites en 1934 par la SNOS de Savigliano avec un équipement électrique TIBB. La motrice D 1 est à deux essieux et développe 206 ch, pour une capacité totale de 40 places.
  • Les motrices D 2 et D 3 sont à bogies, avec une puissance de 413 ch et une capacité totale de 70 places. On aperçoit à droite les voitures ouvertes D 13 et D 14, construites en 1884 par la SNOS pour le premier funiculaire Agudio et toujours en service, mises aux normes actuelles de sécurité, après plus de 140 ans de carrière !
  • Le parc compte également deux voitures fermées D 11 et D 12, remontant elles aussi à 1884 et d’une capacité totale de 70 places.
  • Les deux voies à quai de la gare de Sassi sont électrifiées par troisième rail, mais le faisceau du dépôt est équipé pour raison de sécurité d’une ligne de contact aérienne. La manoeuvre des véhicules y est assurée par le tracteur « boîte à sel » à deux essieux de 95 ch T 450, construit en 1957 par les ateliers du réseau ATM sur le truck d’une ancienne motrice de tramway de 1902.
  • Deux wagons plats S 21 et S 22, eux aussi originaires du funiculaire d’origine, sont destinés aux transports de service. Le S 22 est habituellement destiné au transport des vélos, mais aujourd’hui le râtelier a été déposé et le personnel du buffet y embarque les provisions destinées à notre repas de ce soir, au restaurant de la gare de la Superga.
  • Le soleil se couche tôt en décembre… Alors que le jour tombe, les congressistes de l’ATTS prennent place à bord des motrices 312 de Rome et 201 de Bologne, au terminus CORIOLANO de la ligne 15. Direction le Corso Tortona...
  • Nos deux trams font d'abord sans arrêt le tour du dépôt GTT du CORSO TORTONA puis nous déposent à l’entrée de l’atelier principal qui entretient et rénove tous les tramways turinois, y compris un partie de la flotte historique. On y voit ici trois motrices série 6000 Alstom Savigliano.
  • Une motrice 5000 Fiat et une très récente 8000 Hitachi, avec son masque avant partiellement démonté.
  • Les véhicules de la ligne à crémaillère de la Superga sont eux aussi réparés à l'atelier central Torton
  • La visite terminée, les motrices turinoises 2598 et 3104 nous ramènent du Corso Tortona et, par le raccordement au réseau de tramways, elles pénètrent directement à l'intérieur du dépôt de SASSI. A la lueur de la pleine lune, la basilique de la Superga brille de tous ses feux en haut à droite...
  • Et c’est la montée de nuit à la SUPERGA. La motrice D 3 pousse la voiture D 11 et le wagon S 22. Les victuailles ont été déchargées et nous dînons au restaurant panoramique de la gare, ici sur la droite. Puis ce sera le retour en ville, d’abord par la crémaillère puis à bord de deux tramways historiques.
  • En mi-journée c’est la pause pour un repas bien apprécié, au départ de la PIAZZA CARLINA à bord du tramway-restaurant 2841 « Ristocolor ».
  • Le réseau GTT exploite deux tramways-restaurants sur ses lignes. Le soir même, le 2823 « Gustotram » embarque ses convives sur la PIAZZA CASTELLO, entre le palais royal et l’opéra de Turin.
  • Après avoir négocié avec un vigile pour pénétrer sur les quais (il y a maintenant des portillons et un contrôle d’accès à Porta Nuova 😠), nous voici au heurtoir de la voie 1 où la 130 n° 625.017 est prête au départ en pousse d’une rame de cinq voitures « Centoporte », diesel en tête. Cette machine, construite par Ansaldo en 1910 et administrativement rattachée à Roma-Smistamento, est attelée à un tender à bogies de 22 m3 pour accroître son rayon d’action, en remplacement de son tender à trois essieux de 15 m3.
  • En tête, la BB diesel D 445.1034 construite par Fiat Savigliano en 1975. Cet été, elle a souvent tracté le train touristique Ventimiglia - Tende dans la vallée de la Roya.
  • heures 55 ! Le train spécial quitte ponctuellement TORINO PORTA NUOVA en direction d’Asti et Nizza-Monferrato. La 625 ne fait pas que de la figuration et pousse avec énergie son convoi…
  • Longtemps emblématiques de Turin, les 2800 ont été construites à 103 exemplaires en deux sous-séries en 1958-60 et 1982-83, en réutilisant les châssis d’anciennes motrices à bogies. Les dernières achèvent leur carrière en renfort sur les lignes 15 et 16. Début décembre trente-neuf unités étaient encore à l'effectif, dont cinq « semi-historiques » en livrée verte pour la ligne 7 (les 2807, 2815, 2848, 2852, 2855), une historique en livrée verte à extrémités d'origine (la 2847) et les deux aménagées en restaurant que nous avons déjà vues (les 2823 et 2841).
  • La série 5000 compte 54 unités, construites par Fiat Savigliano et Stanga entre 1989 et 1992. Traversant la PIAZZA VITTORIO VENETO, la 5053, dernière unité de la série, assure un service de la ligne 13 Campanella - Gran-Madre.
  • La série 6000 compte 55 unités, construites par Alstom Savigliano (ex-Fiat) entre 2001 et 2003. Articulées en sept éléments, ces rames dites « Citiway » ont inspiré celles à cinq éléments du tramway de Messine, à l’« esthétique » aussi ingrate... Dans le centre historique, la 6044 parcourt ici l’étroite VIA SAN-FRANCESCO D’ASSISI sur la ligne 4 Falchera - Mirafiori.
  • Les rames série 8000 à cinq éléments sont en cours de livraison depuis 2023 par Hitachi Rail Italy (ex-AnsaldoBreda) à 70 exemplaires, les dernières devant être mises en service en 2026. La 8040 suit le CORSO REGINA MARGHERITA pour se rendre au défilé, où elle représentera la nouvelle génération des tramways turinois.
  • La motrice 116, construite par Diatto en 1911 pour le réseau de Turin, quitte la PIAZZA CASTELLO entre le palais Madama et celui de l’administration provinciale de Turin.
  • Après avoir débouché des arcades de la Piazza Castello, la motrice 201 construite en 1934 par Stanga pour le réseau de Bologne descend le VIALE 1° MAGGIO pour traverser les Giardini Reali, les grands jardins ombragés situés à l’arrière du palais royal.
  • Nous voici maintenant au RONDO’ RIVELLA, où la voie venant des Giardini Reali se raccorde aux lignes 3 et 16 sur le CORSO REGINA MARGHERITA. La motrice 2598 appartient à une série construite en 1933 par Fiat Materfer, inspirée du célèbre « type 28 » de Milan reproduisant la disposition à trois portes introduite aux Etats Unis par Peter Witt, directeur du réseau de Cleveland.
  • La rame 2759, construite en 1959 par Stanga, est typique de la conception « due stanze con cucina » (deux pièces et cuisine) qui a connu un certain succès sur les réseaux italiens et allemands. Deux motrices à deux essieux sont articulées de part et d'autre d’un élément central suspendu.
  • Toujours au RONDO’ RIVELLA, les 3203 et 3279, deux motrices construites en 1958 et 1959 par Fiat et la SEAC de Carmagnola croisent la ligne 3 Tortona - Vallette desservie par des rames série 6000. On remarque leurs bogies de modèles différents. Elles dérivent du type PCC américain, que Fiat a reproduit à la même époque en une soixantaine d’exemplaires pour le réseau de Madrid.
  • En mi-journée, des rames des séries employées quotidiennement et des matériels de service se joignent aux tramways historiques pour former sur la Piazza Statuto un convoi de 25 véhicules, qui va traverser le centre-ville jusqu’à la PIAZZA VITTORIO VENETO. La motrice 116, déjà vue, croise ici la 2847 qui assure un service sur la ligne historique dominicale 7.
  • La motrice 312, construite en 1935 par Carminati & Toselli pour le réseau de Rome, traverse la place dominée par la flèche haute de 167 m de la Mole Antonelliana, le monument le plus emblématique de Turin.
  • Toujours sur la PIAZZA VITTORIO VENETO, la motrice 3104 Fiat de 1949 appartient à la première série turinoise dérivée des PCC américaines.
  • Sur la partie sud de la place, le tracteur T 450 déjà vu au dépôt de Sassi remorque vers la berge du Po la motrice 209 non encore opérationnelle, construite par Diatto en 1911 sous licence des Ateliers Métallurgiques de Bruxelles.
  • A l’intersection de la ligne circulaire 16, la motrice de service T 427 construite en 1989 sur un châssis de 1911 est destinée à l’épandage du sable sur les voies en cas de verglas et de neige.
  • Passée la grande parade de tramways, les circulations du « Trolley Festival » reprennent dans l’après-midi. Dans l’angle de la PIAZZA CASTELLO, la motrice 502 se dirige vers les arcades sous le palais du conseil provincial, donnant accès aux Giardini Reali. Construite en 1924 pour le réseau de La Spezia par Ansaldo, elle a en fait toujours circulé à Turin.
  • Dans le même secteur, la rame articulée 2847 construite en 1960 par le Officine Moncenisio et la SEAC a été remise en état d’origine. Elle côtoie la 447 de Trieste et l’autobus à deux niveaux Fiat 413 Viberti, vedette de l’exposition internationale de Turin en 1961.
  • La nuit ne va pas tarder à tomber et la motrice 2592, Fiat Materfer de 1933 dérivée des « Peter Witt » milanaises, descend la VIA MILANO à hauteur de la PIAZZA PALAZZO-DI-CITTA’, devant la mairie de Turin.
  • Retour sur la PIAZZA CASTELLO pour les derniers départs de la journée : ici la magnifique 447 de Trieste (Stanga 1938) avec ses portières pliantes en bois verni et la 3104.
  • Et pour finir en beauté, la 502 de Turin et la 312 de Rome. A mesure de leurs derniers services, les tramways vont regagner leur écrin dans les dépôts de Tortona et de Sassi.